Il y a plusieurs acquis à mettre au bénéfice du plaidoyer depuis 46 ans, de l’Association des juristes sénégalaises : la loi sur l’équité fiscale en 2008, la loi sur la parité en 2010, la loi sur la nationalité en 2013, et plus récemment la loi criminalisant le viol et la pédophilie de cette année.

L’Association des juristes sénégalaises (Ajs) est une organisation de la société civile créée à Dakar en juillet 1974. Elle a vocation à consolider la justice sociale, par la promotion et la protection des droits humains en général et de ceux des femmes et des enfants en particulier. La création de cette organisation s’inscrit dans un contexte spécifique, celui de la prévalence d’un certain nombre de pesanteurs sociétales à l’endroit des femmes notamment. C’est donc en parfaite considération que les «aînées» fondatrices – un aéropage de juristes – fixent les perspectives statutaires de l’Ajs, qui constitue en elle-même une originalité, en tant qu’association exclusivement féminine, dont les membres actifs sont titulaires, pour le moins, d’un diplôme universitaire de deuxième cycle en droit.
Cette association pionnière dans le domaine des Organisations de la société civile (Osc) féminines au Sénégal s’est illustrée depuis sa quarantaine années d’existence dans le plaidoyer et l’assistance. Cette longévité d’existence et d’action, fort louable, interroge aujourd’hui, en raison des nouveaux enjeux auxquels est confrontée la société sénégalaise.
Dans l’opérationnalisation de sa vision stratégique, l’association qui compte environ deux cent membres actifs organise ses activités autour d’un Conseil d’administration et d’un bureau.
L’Ajs mène des actions à différentes échelles. L’une des réalisations les plus parlantes est sans doute l’ouverture, en 2008, de sa première «boutique de droit» sise à La Médina. Le choix de cette appellation étant relatif à la proximité réputée des femmes avec ce type de commerce, dans leurs zones d’habitation.
La «boutique de droit» a pour mission d’apporter aux populations assistance juridique – par le biais d’une écoute – et conseils à titre gratuit, dans les différentes branches du droit. Le succès de cette première apparition a conduit, ces dernières années, et en partenariat avec d’autres acteurs, à la création de sept autres «boutiques de droit» (Pikine, Thiès, Kébémer, Kolda, Kaolack, Sédhiou et Ziguinchor), ainsi que la mise en service d’un numéro vert pour une assistance téléphonique (800 805 805).
La diversification des partenariats de l’Ajs a eu pour effet son investissement dans le renforcement de capacités des communautés, le plaidoyer à l’échelle nationale et internationale, pour l’amélioration des droits de la femme et des enfants. L’Ajs est également présente auprès de nombreux comités nationaux tels que l’Observatoire national de la parité, le Conseil des infrastructures et l’Agence des marchés publics, la Commission nationale des droits humains, etc.
Plusieurs acquis – et non des moindres – sont donc à mettre au bénéfice du plaidoyer de l’Ajs : la loi sur l’équité fiscale (2008), la loi sur la parité (2010), la loi sur la nationalité (2013), et plus récemment la loi criminalisant le viol et la pédophilie (2020), etc.
Les effets des préoccupations portées par l’association sont donc de la plus grande importance pour les populations. Cette résonnance particulière des actions de l’Ajs pose l’exigence d’une adéquation permanente entre ses propres projections et les urgences de changement social exprimées par la société sénégalaise.

Un aggiornamento permanent
Une quarantaine d’années après la création de l’Ajs, le paysage associatif national s’est considérablement agrandi et enrichi, et l’on note, en particulier, une augmentation significative du nombre d’Osc œuvrant pour la promotion et la protection des droits des femmes et des enfants.
L’Ajs se trouve en conséquent dans l’obligation d’un repositionnement constant, en rapport avec ses paradigmes fondateurs, qu’il faut revisiter à l’aune des reconfigurations de contexte. C’est un effort de réflexion en profondeur, un regard inclusif des dynamiques de développement de la société sénégalaise (et des pays environnants). C’est enfin un regard sur le monde, avec lequel le Sénégal (et l’association) interagit de différentes manières.
Les modalités d’action des interventions de l’Ajs sont également susceptibles d’être relues, en vue d’accroître les capacités de déploiement de l’association, dans un environnement qui a connu de profonds bouleversements. L’association pourrait être ainsi amenée à élargir son champ d’investigation aux domaines connexes de la protection des droits des femmes et des enfants, en intégrant éventuellement les exigences de la responsabilisation citoyenne, la prévention des conflits et les problématiques des migrations, etc.
La gestion des ressources de l’association est, enfin, capitale. Elle peut s’appréhender sous un triple angle.
Les conditions d’adhésion et le nombre relativement restreint des membres actifs de l’association sont suffisamment évocateurs de la connotation élitiste de l’Ajs. Ils peuvent cependant dévoiler une tout autre préoccupation : le peu d’attractivité de l’association chez les nombreuses filles et femmes diplômées en droit dans les universités du Sénégal.
Le fonctionnement de l’Ajs pose aussi l’urgence de la formation permanente des membres, en particulier ceux qui sont salariés par l’association.
La question des ressources matérielles et financières de l’association est pendante de ce qui précède. Le budget de l’Ajs devrait pouvoir s’équilibrer en recettes et dépenses (et en lisibilité) à hauteur des ressources que l’association est à même de mobiliser, en se prémunissant de toutes formes de dépendance structurelle pouvant contrevenir à la réalisation de ses objectifs. Ainsi donc, l’Ajs se distinguerait de la plupart des Osc, largement tributaires des contingences comptables et financières que leur impose un environnement de rareté de ressources.
Une amélioration de cet état de fait pourrait se matérialiser par exemple par une plus grande couverture géographique nationale des actions de l’association, une mise en place d’un fonds d’assistance judiciaire pérenne aux victimes, la création de centres d’hébergement d’urgence des victimes dans les régions à forte prévalence de Violences basées sur le genre (Vbg), etc.
La densification des ressources opportunes de l’Ajs se retrouve donc au centre de la continuation d’existence de cette association phare, qui a beaucoup œuvré pour toute la société sénégalaise, et pour les femmes et les enfants en particulier.
Auréolée d’un prestige et d’un rayonnement historique indubitables, l’Association des juristes sénégalaises doit continuer de tendre la main aux femmes et aux enfants, répondant ainsi avec force et dans le droit aux appels de l’ensemble de la société sénégalaise.
Pour cela, il lui faudra en permanence sortir des sentiers battus.

Fatou Bintou MBAYE
Juriste et politiste
Membre active de l’Ajs

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