L’autonomisation des femmes handicapées : état, enjeux et perspectives

L’autonomisation des femmes handicapées : état, enjeux et perspectives

Les stratégies d’autonomisation en faveur des femmes handicapées à l’aune des progrès notables enregistrés ces dernières décennies par la Femme comprise dans sa conception générique : Avancées significatives et freins. Comment comprendre la question du handicap à travers les changements de paradigme marqués par le glissement de l’approche assistancielle vers l’approche d’autonomisation ? Diagnostic sans complaisance !

Par Cheikh FALL (Contributeur infosansfrontieres, travailleur social spécialisé, Doctorant en droit public)

 état des stratégies d’autonomisation

La situation des personnes handicapées en général reste préoccupante à travers le monde ; et celle des femmes handicapées l’est encore davantage. En effet, à la vulnérabilité du statut de femme s’ajoute une  autre vulnérabilité, encore plus marquante, celle de personne handicapée. C’est pour cela que de nombreux spécialistes des questions relatives au handicap considèrent les femmes handicapées comme une catégorie sociale particulièrement vulnérable. Et pourtant malgré cette spécificité catégorielle, les actions et stratégies restent  encore confinées dans une démarche générale, sans tenir compte vraiment de cet impératif de traitement spécial.

Au demeurant, cette approche n’est pas sans conséquence sur la visibilité nécessaire au traitement de la question relative à l’autonomisation socio-économique des femmes handicapées. Ainsi, une première difficulté apparaît lorsqu’il s’agit de traiter d’une question pareille.

Par ailleurs, dans le contexte sénégalais qui nous intéresse, la timidité de la réflexion sur les problématiques relatives à l’autonomisation des personnes handicapées en général, et celle des femmes handicapées en particulier, ne permet pas de disposer d’une documentation fournie dans une perspective sexospécifique.

Les chiffres à l’échelle mondiale disent long sur l’étendue des situations de handicap ; en effet, 10% de la population mondiale sont des personnes handicapées et parmi elles, 82% vivent dans les pays sous-développés.

Seulement 2% des personnes handicapées en Afrique ont accès aux services sociaux de base (source ONU), 1 à 2% des enfants handicapés dans les pays en voie de développement vont à l’école.

Au Sénégal, le dernier recensement général de la population révèle que les personnes handicapées représentent 5.2% de la population.

De nombreuses études montrent que les personnes handicapées souffrent le plus de l’exclusion socio-économique du fait de nombreux facteurs environnementaux mais aussi personnels.

C’est ainsi que l’organisation des nations unies a très tôt indiqué la voie dans la promotion des droits des personnes  handicapées ainsi que l’égalité des chances. Deux décennies successives ont été déclarées décennies des personnes handicapées (1988-1993 et 1994-2005).

Le 3 décembre est déclaré journée internationale des personnes handicapées. Cette journée est un temps fort dans la réflexion stratégique sur les pas réalisés dans la promotion de l’égalité des chances au profit des personnes handicapées.

Au niveau régional, l’Organisation panafricaine a quant à elle, proclamé 2000-2009 la décennie africaine des personnes handicapées.

Cet environnement international et régional favorable à l’autonomisation de la personne handicapée ne s’est pas traduit par une amélioration effective de la situation des handicapés en général.

La femme handicapée ne tire pas son épingle du jeu. Elles sont pour la plupart dans des situations financières précaires, ont peu d’autonomie financière et même fréquemment vivent des situations de survie.

Les femmes handicapées bénéficient peu d’évolution professionnelle avec la justification que c’est déjà bien d’avoir un emploi.

Peu formées, peu qualifiées, elles ont un taux de chômage deux fois plus élevé que celui des personnes dites « valides », 20% contre 9%.

22% des femmes handicapées trouvent un emploi conte 46% d’hommes handicapés.

Le travail des femmes handicapées est encore considéré comme une occupation plutôt qu’un moyen d’autonomie financière. Et les études les plus récentes ont même montré que la dépendance des femmes handicapées s’accroît avec l’âge.

Les avancées significatives en matière d’autonomisation

Au Sénégal, depuis 2010, il existe un cadre de référence en matière de promotion des droits des personnes handicapés, y compris les femmes ; il s’agit de la loi d’orientation sociale(LOS).

La LOS en son article 22 assure, par le biais des établissements de formations aux personnes handicapées, une formation technique et  professionnelles appropriée dans le cadre du système ordinaire, en vue de leur faire acquérir des connaissances, compétences techniques et professionnelles, leur préparation à la vie active et leur intégration socio-économique.

Un quota est même réservé aux personnes handicapées sans distinction de sexe, dans les centres publics de formation professionnelle, aux termes de l’article 23 de ladite loi.

La promotion de l’insertion socio-économique des personnes handicapées s’inscrit aussi dans la direction empruntée par maintenant la plupart des pays à travers le monde, c’est-à-dire la stratégie des quotas.

En effet de nombreux pays ont opté pour une politique contraignante d’emploi des personnes handicapées. L’Allemagne et l’Autriche ont été dès la Première Guerre mondiale à l’origine de ce système. À la fin du second conflit mondial, les recommandations de l’Organisation internationale du travail (Philadelphie, 1944) ont conforté ce principe du quota, l’ayant reconnu comme égalisant les chances d’emploi des personnes handicapées. De nombreux pays occidentaux ont dès lors adopté cette façon de faire, très répandue désormais en Europe mais aussi en Asie.

Aujourd’hui, en Allemagne, en Espagne, en France et en Italie, les entreprises dont l’effectif dépasse un certain seuil fixé par la loi (par exemples 20 ou 50 salariés) ont, quel que soit leur statut, l’obligation de réserver une fraction de leurs postes à des personnes ayant une limitation fonctionnelle.

C’est ce système que le Sénégal a adopté à la lecture de l’alinéa 2 de l’article 29 de la          LOS, aux termes duquel « L’Etat, les organismes publics et privés réservent, autant que possible, aux personnes handicapées, les emplois qui leur sont accessibles dans la proportion de 15% au moins ».

Le cadre légal est complété par les politiques publiques d’autonomisation perceptibles à travers le programme national de réadaptation à base communautaire (PNRBC) qui a été mis en place suivant arrêté ministériel N°234 du 24 janvier 2007 avec pour objectif entre autres, d’accroître les capacités de générations de revenus des Organisations des Personnes Handicapées (OPH) et des personnes handicapées elles-mêmes.

Il nous faut aussi citer certainement parmi les avancées les plus significatives l’un des programmes de filet social les plus structurants qu’est la carte d’égalité des chances. Définie par la loi d’orientation sociale en son article 3 comme une « carte spécifique prouvant le handicap et délivré par le Ministère chargé de l’action sociale sur proposition des commissions techniques, la carte permet de bénéficier des droits et des avantages en matière d’accès aux soins de santé, de réadaptation, d’aide technique, financière, d’éducation, de formation, d’emploi, de transport, ainsi qu’à tout autre avantage susceptible de contribuer à la promotion et la protection des droits des personnes handicapées. »

Pour donner plein effet à la carte, une articulation avec d’autres filets sociaux est faite dans l’optique d’optimiser les objectifs d’autonomisation. C’est ainsi que l’avantage « SANTE » attendu de la carte  est prise en charge par la couverture maladie universelle à travers les mutuelles de santé communautaire,  l’avantage financier est apporté par le programme de bourse de sécurité familiale de la Délégation générale à la Protection sociale et à la solidarité nationale.

La formation ayant été identifiée comme un moyen d’accéder à l’autonomie des femmes, il nous semble important de mettre en lumière les dispositifs innovants ou anciens, qui peuvent jouer un rôle important dans la promotion de l’autonomisation tout en prenant en compte à la fois la dimension Genre et la dimension Handicap.

Il s’agit notamment du Fonds de financement de la formation professionnelle et technique (3FPT) créé suivant décret n° 2014- 1264 du 7 octobre 2014 sous la tutelle du ministère de la formation professionnelle, de l’apprentissage et de l’artisanat, avec pour  missions de mobiliser les ressources nécessaires au financement de la formation professionnelle et technique, de financer les actions de formation initiale ainsi que les actions de formation continue des personnels d’entreprises, des demandeurs d’emploi et des porteurs de projets d’insertion,…

Il s’agit aussi de l’Organisme national de formation professionnelle (ONFP).

Pour terminer sur ce point, il est important de relever les efforts des organisations partenaires qui accompagnent l’Etat dans la promotion de l’autonomie des personnes handicapées. C’est le cas notamment de HANDICAP International qui développe deux projets importants en faveur de l’insertion socio-économique des handicapés ; il s’agit notamment de EMPHAS (Emploi des Personnes handicapées) dont l’objectif est de contribuer à l’amélioration de l’accès à l’emploi formel salarié pour les personnes handicapées, notamment les femmes et les jeunes, dans une perspective de réduction de la pauvreté. EMPHAS met en œuvre le principe d’inclusion et la responsabilité sociale d’entreprise dans une démarche relationnelle entre l’offre et la demande de travail.

Le deuxième projet développé par HANDICAP International et qui nous semble prendre en compte opportunément l’autonomisation des femmes handicapées en particulier est le projet insertion économique et Appui aux PME.

Il vise la promotion de l’autonomie et la pleine participation des handicapées à la vie socio-économique à travers l’entrepreneuriat. Il a pour objectif de « soutenir un développement économique durable et la création d’emplois dans les entreprises à fort potentiel de croissance dirigées par des personnes vivant avec handicap ».

D’autres initiatives privées d’organisation de personnes handicapées méritent aussi d’être présentées car elles sont nombreuses les organisations qui ont évolué dans leurs stratégies d’encadrement et de promotion de la cible, passant d’une approche assistancielle à celle d’autonomisation. On cite l’exemple de l’association des handicapés de Dakar Plateau qui inscrit son action dans la lutte contre la mendicité des personnes handicapées, en développant le financement d’activités génératrices de revenus au profit surtout des femmes (11 femmes financées sur 6 hommes).

Toutes ces avancées notées sont le fait de l’Etat, d’organisations partenaires mais aussi des organisations de personnes handicapées elles-mêmes.

Autant dire que le basculement au paradigme de l’autonomisation s’est opéré dans la douceur mais de façon irréversible. Toutefois, des freins ralentissent encore les efforts vers plus d’autonomisation.

Les freins à l’autonomisation

L’analyse des freins laisse apparaître deux catégories de freins, ceux d’ordre personnel d’une part et d’autre part ceux d’ordre environnemental.

Environnemental

  • Inaccessibilité des services dédiés à l’insertion sociale des personnes handicapées.
  • Personnel de services inaptes à accueillir des personnes handicapées
  • Faiblesse de la communication sur les politiques publiques de promotion des droits des personnes handicapées et absence de perspective sexospécifique
  • Inaccessibilité aux aides techniques
  • Faiblesse du cadre réglementaire d’application de la loi d’orientation sociale ( un seul décret signé)

Personnel

  • Manque de confiance en soi pour approcher les services publics
  • Faiblesse du niveau scolaire des femmes handicapées et de qualification professionnelle
  • Difficile conciliation entre vie domestique et recherche d’emploi chez la femme handicapée.
  • Faiblesse managériale et organisationnelle des OPH
  • Faiblesse de mobilité des femmes handicapées due aux facteurs environnementaux souvent exclusifs.

Comment agir !

Dans le cadre de la célébration de la femme, il nous a paru important de faire le bilan de la condition de la femme handicapée, qui présente une vulnérabilité beaucoup plus marquée que la femme considérée comme « valide ».

Si des efforts ont été consentis aussi bien au niveau international qu’au niveau national, il faut tout de même s’arrêter sur des actions fortes qui feront progresser la condition sociale et économique de la femme handicapée de manière à respecter les principes d’égalité des chances, d’inclusion et d’universalité des droits. Tout ceci, dans une démarche tout à fait conforme au statut de leader de notre pays en matière de promotion des droits de l’Homme et de l’égalité des chances en Afrique.

Aussi, est-il important d’accorder encore plus d’attention au renforcement de la sensibilisation et du plaidoyer pour une effective application de la loi d’orientation sociale, à la promotion de la perspective sexospécifique par l’encouragement d’un véritable leadership de femmes handicapées et leur positionnement dans l’entreprenariat au détriment de la microfinance classique. Aussi, la promotion de l’approche inclusive dans les politiques publiques d’accompagnement et de financement des projets des jeunes et des femmes (DER, 3FPT, ONFP, ANPEJP, FONGIP, FONSIS…) et articuler davantage les filets sociaux et amplifier une communication ciblée. Il faudra également mettre à contribution les opérateurs de téléphonie mobile (ORANGE, TIGO, EXPRESSO) en faveur d’une promotion du concept « HANDISHOP », boutiques dédiées aux personnes handicapées dans le cadre de la RSE et de la stratégie inclusive. Créer les synergies de pensée et d’action à travers des conventions de partenariat, avec des organisations de défense des droits humains (AJS, ONDH, RADDHO…) pour positionner les droits spécifiques des femmes handicapées dans leurs plans de communication. Il serait pertinent aussi d’inciter les entreprises par la réduction d’impôt ou le dégrèvement d’impôt, à s’inscrire dans le sens du quota d’emplois réservés aux personnes handicapées (En France, dans le secteur public comme dans le secteur privé, tout employeur de 20 salariés et plus doit réserver 6 % des postes aux personnes handicapées. Les employeurs qui ne respectent pas ce contingentement légal doivent verser une contribution de substitution à un fonds, public ou privé, qui finance des actions pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées). En fin il s’agira de mieux prendre en compte la dimension genre dans les programmes sociaux destinés aux personnes handicapées.

Quitter la version mobile